Gauche : un calumet de la paix, mais pas de fumée blanche

Une vingtaine de responsables de gauche s’est réunie ce samedi matin, à l’initiative de Yannick Jadot, pour plancher sur le chemin qui les conduirait vers l’union.

Dans la série politique “Baron noir”, c’est lors de la réception de mariage en grande pompe de Philippe Rickwaert que les leaders des partis de gauche, réunis sur leur 31 dans une aile d’un bel hôtel particulier, négocient une plateforme pro- grammatique commune pour l’élection présidentielle à venir… Avant de s’écharper et de tout envoyer valser. Comme souvent, la réalité est un tantinet moins romantique que la fiction, mais au moins, ce samedi matin, dans la réalité pour le moins compliquée de la gauche française, il n’y eut pas de casse à déplorer. Et, rien que pour cela, l’évènement mérite que l’on s’y intéresse.

C’est donc dans une salle de réunion on ne peut plus banale d’un grand hôtel du XIXe arrondissement de Paris qu’une vingtaine de responsables politiques de gauche se sont retrouvés, durant trois heures, pour esquisser un chemin vers l’union. Prenez une grande respiration, car la liste, plus longue que prévu, est conséquente. Et tant pis pour la règle des “six personnes maximum”. Étaient présents autour de la vingtaine de tables en bois disposées en cercle : les écolo- gistes Yannick Jadot, Julien Bayou, Éric Piolle et Sandrine Rousseau; les social- istes Olivier Faure, Anne Hidalgo, Corinne Narassiguin, Guillaume Garot et Nadège Azzaz; les membres de Génération·S Benoît Hamon et Sophie Taillé-Polian; l’Insoumis Éric Coquerel en remplacement de Jean-Luc Mélenchon, en vadrouille en Amérique du Sud; le communiste Ian Brossat; le fondateur de Place publique Raphaël Glucksmann; le représentant de Nouvelle donne Pierre Larrouturou; le fon- dateur de la Gauche républicaine et socialiste Emmanuel Maurel; le président du Parti radical de gauche Guillaume Lacroix; les ex-LREM et coprésidents des “Nouveaux démocrates” Aurélien Taché et Émilie Cariou; l’ex-LREM et lieutenant de Nicolas Hulot Matthieu Orphelin; la présidente de Cap21 Corinne Lepage; et enfin l’économiste, présidente de European Climate Foundation et coprésidente du comité de gouvernance de la convention citoyenne pour le climat Laurence Tubiana.

Avec un panel aussi large, ce conclave en terrain on ne peut plus neutre, organisé à l’initiative de l’écologiste Yannick Jadot, n’avait pas vocation à déterminer d’ores et déjà un représentant commun à toutes ces formations pour 2022. Et heureusement : entre un Jean-Luc Mélenchon candidat depuis novembre dernier et vivant encore sur ses 7 mil- lions de voix en 2017, le secrétaire national du parti communiste Fabien Roussel qui s’est lui aussi lancé, et des Verts qui n’imaginent pas tellement le rassemblement autrement que derrière eux, la tâche était compromise. “On ne sortira pas avec un candidat unique pour la présidentielle, mais le fait que la gauche se parle est déjà une bonne chose”, indiquait la veille l’adjoint communiste à la mairie de Paris Ian Brossat, représentant du PCF à la réunion de ce matin. Sur France Inter, une heure avant le rendez-vous, Benoît Hamon prévenait également qu’il ne fallait pas s’attendre à voir s’échapper “la fumée blanche”, tout en assurant, qu’à terme, le salut ne passerait que par un présidentiable com- mun.

Au sortir de la réunion, tous les responsables interrogés par L’Express relevaient, parfois à la limite de l’étonnement, l’atmosphère sereine qui régnait dans la salle. “Si on m’avait dit il y a deux mois que ça se passerait aussi bien, je ne l’aurais pas cru”, se marre l’un d’eux. Comme les micros ne fonctionnaient pas, chacun s’est dans un premier temps exprimé à tour de rôle, l’espace de cinq minutes, dans un silence religieux. Pas un mince exploit, et déjà une belle avancée. “Après plusieurs semaines de polémiques vaines et de sondages catastrophiques, c’était aussi une réunion pour nous rassurer nous-même, souffle le député européen Emmanuel Maurel, ex-socialiste allié à la France Insoumise lors des dernières élections européennes. Il n’y eut aucune anicroche, j’ai eu l’impression que tout le monde était conscient qu’il fallait être à la hauteur de ce moment. Et je vais même vous dire, ça m’a même semblé presque sincère…”

“Climat très respectueux”

Le socialiste Guillaume Garot, candidat du parti à la rose aux régionales en Pays de la Loire – qui faisait face ce matin à son concurrent à gauche Matthieu Orphelin – pointe également un “climat très respectueux” : “Toute mouillée, la gauche fait à peine un quart des intentions de vote dans les sondages, et on sait qu’un duel Macron-Le Pen pourrait très mal se terminer, donc forcément il y avait un sentiment de gravité.” “Je re- tiens une vraie grande volonté de travailler ensemble, glisse quant à elle Émilie Cariou, ex-LREM et coprésidente des Nouveaux démocrates, les petits nouveaux dans la famille comme elle le dit elle-même. Tout le monde était dans une démarche commune afin que la gauche soit forte pour lutter contre les attaques libérales extrêmement agressives du gouvernement contre nos concitoyens, en particulier les classes populaires.”

Bref, chacun nous peint un tableau quasi idyllique de la rencontre. Certains con- statant même que sur le fond des sujets, même s’ils n’ont pas pu être évoqués en profondeur, il n’y avait pas d’abîme in- franchissable. Sur la question européenne par exemple – qui est sans doute l’un des grands points de crispation entre les deux côtés du spectre – Anne Hidalgo a été la première, selon un participant, a tancé la note de trajectoire du gouvernement envoyée à la Commission européen qui “promettait l’austérité pour les cinq ans qui viennent”. Le green deal européen a également été un sujet abordé et consensuel. Certains comme Emmanuel Maurel ont pointé l’absolue nécessité pour la gauche de se

réapproprier les questions d’emploi et de sécurité, d’autres comme Guillaume Garot ont demandé que ne soit évacué aucun sujet, et surtout pas le rapport à la République, mais “rien ne semblait justifier sur le fond une absence d’unité”, assure le député européen Pierre Larrouturou, qui représentait Nouvelle Donne.

Concrètement, toutes les parties ont convenu d’un pacte de non-agression, de discuter d’actions et de luttes communes… et que cette réunion serait la première d’une longue série! La prochaine devrait se tenir fin mai, de nouveau dans un lieu neutre, et la plu- part des formations présentes souhaitent que la question d’une plateforme pro- grammatique commune et “un contrat de gouvernement” soit réglée cet automne. Objectif législatives! Seulement, comme le glisse Guillaume Garot, “il y a évidemment des divergences de stratégie, ce n’est pas le pays de bisounours”. Comme à son habitude, le Parti socialiste, par l’intermédiaire de son Premier secrétaire Olivier Faure, a été le plus offensif concernant le besoin de constituer une coalition et, dans un monde idéal, de trouver un candidat commun à l’élection présidentielle. “Le retrait du candidat du PCF ne peut pas être un préalable au travail d’un projet commun”, a notifié le communiste Ian Brossat, quand l’Insoumis Éric Coquer- el, s’il veut bien débattre des pro- grammes, a lancé, quelque peu sur la défensive : “Ne nous faites pas un procès en manque d’unité!”. Les Verts, eux, ont fait comprendre à l’assemblée qu’ils ne comptaient ni modifier, ni dé- caler, leur primaire prévue fin septembre. Évidemment, “la vraie divergence s’est cristallisée autour de l’existence, ou non, d’un processus commun, car à l’heure actuelle personne n’est prêt à retirer son candidat”, conclut Matthieu Orphelin. Toujours est-il qu’une réelle étape semble avoir été franchie ce samedi matin, même si tout reste encore à faire. Plusieurs leaders ont souhaité voir ce grand débat à gauche s’ouvrir à la société civile, aux associations et syndicats. Le mal est profond, donc la route est longue. “À mes yeux, le problème de la gauche est très loin de se résumer à celui de sa dispersion : si elle est dans la nasse c’est parce que son discours est à côté de la plaque et se désintéresse complètement des catégories populaires”, indiquait la veille de la réunion le communiste Ian Brossat. Là est peut-être tout le cœur du sujet, et il faudra bien plus que quelques réunions pour y remédier.