Plusieurs amendements au projet de loi Climat et résilience ont été jugés irrecevables alors même qu’ils reprenaient des propositions de la convention citoyenne sur le climat s’indignent, dans une tribune au « Monde », les quatre députés Nouveaux Démocrates Delphine Bagarry, Emilie Cariou, Guillaume Chiche et Aurélien Taché.
Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets ravive la controverse autour du cavalier législatif et de son utilisation. Un amendement est considéré comme cavalier dès lors qu’il introduirait des mesures sans lien, même indirect, avec le sujet dont traite le projet de loi ou la proposition de loi en cours de discussion. Des amendements, portant sur l’écoresponsabilité des entreprises ou encore sur l’adoption, par la France, de l’objectif européen de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, ont été déclarés irrecevables pour ce motif. Ils reprennent pourtant directement des propositions de la convention citoyenne pour le climat, dont ce projet de loi est censé être la traduction concrète. L’absence de lien, même indirect, avec le texte, apparaît alors peu justifiable.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le sujet relatif aux amendements déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution, car ne présentant pas de lien, même indirect, avec le texte, provoque des débats houleux dans notre chambre. Des craintes, justifiées, s’expriment quant à l’utilisation abusive de cet outil de contrôle par la majorité. Cette polémique sur le musellement des oppositions est, de surcroît, largement alimentée par le choix discutable d’imposer un temps législatif programmé sur des textes majeurs.
Et si les oppositions crient au scandale démocratique, un débat de fond n’en est pas moins légitime. D’abord parce qu’il touche à l’une des missions essentielles du Parlement, celle de faire la loi. Ensuite parce qu’il est révélateur d’un effet de bord délétère de la réforme de l’internalisation du contrôle a priori par l’Assemblée nationale de la recevabilité des amendements.
Opacité des arbitrages
Lorsque l’on s’en tient aux chiffres, la proportion d’amendements irrecevables, car considérés comme des cavaliers législatifs, est sensiblement la même pour la majorité que pour les groupes d’opposition. Mais le fait est que, au sein de ces amendements, l’absence de lien, même indirect, avec le texte est discutable.
L’article 45 de la Constitution dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le règlement de l’Assemblée nationale – réformé par Richard Ferrand en 2019, qui a fait sienne cette doctrine dans son article 98 alinéa 6 – poursuivait un objectif clair dans un souci d’« efficacité » chère à La République en marche : réduire la durée des débats en séance et juguler l’inflation du nombre d’amendements déposés.
L’objectif paraît louable. Seulement, le Conseil constitutionnel considère que les instances de l’Assemblée n’ont pas l’obligation de justifier des décisions d’irrecevabilité liées à l’article 45. Et c’est là que le bât blesse. Car l’absence de motivation fait régner l’opacité autour des critères et arbitrages permettant de qualifier ce motif d’irrecevabilité.
La qualité des débats en pâtit
Si la recevabilité financière des amendements se fonde sur des bases concrètes et opposables, en l’absence de critères objectifs, l’existence d’un lien indirect reste soumise à l’arbitraire, écartant toute possibilité, pour les députés et députées de s’assurer de son bien-fondé. Nombreux sont les élus de tous bords qui ont fait les frais d’une application extrêmement stricte et à maints égards contestables de l’article 45 de la Constitution, sur les cavaliers législatifs. Sans explications claires, impossible donc, pour les députés de reprendre et de retravailler leurs amendements pour les soumettre à nouveau aux instances de l’Assemblée.
La majorité utilise-t-elle, oui ou non, ce motif d’irrecevabilité pour museler les oppositions ? La question est sensible certes et peut légitimement se poser. Mais, sans preuve tangible toutefois, l’alimenter ne fait que renforcer la suspicion sans apporter de réponses concrètes. Car le fond du sujet est que cette opacité constitue une entrave majeure à l’exercice constitutionnel du droit d’amendement des parlementaires.
In fine, c’est la qualité des débats et du travail législatif qui en pâtit en écartant de facto des sujets cruciaux qui mériteraient un débat ouvert et contradictoire. Ce fut le cas pour certains amendements relatifs au burn-out lors de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail… Ou encore sur les dérives de groupuscules survivalistes dans le cadre du projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Demande d’explications
Si le Parlement est le lieu où l’on vote la loi, c’est avant tout celui où l’on se parle. L’essence même de la fonction du député est de faire la loi, de la construire par un débat qui se doit d’être aussi approfondi que contradictoire et ouvert. Gardons en tête le mot de Clemenceau, qui répondait à ce sujet au général Boulanger, un certain 4 juin 1888 à la Chambre des députés : « Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage. Oui ! Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait. »
En touchant à l’essence du Parlement, on touche aux fondements de notre démocratie. Ce seul constat devrait suffire à ouvrir la réflexion d’une évolution du droit parlementaire. Sans renoncer à la rationalisation du débat parlementaire, sans ouvrir la possibilité aux jeux d’obstruction et compte tenu du très grand nombre d’amendements déposés, pourquoi, ne pas simplement proposer qu’un député puisse demander une fois par an, sur deux amendements de son choix déclarés irrecevables, une explication écrite et argumentée ?
Renforcer la transparence du contrôle a priori de la recevabilité viendrait, d’une part, mettre un point d’arrêt aux suspicions en écartant toute polémique d’une utilisation politique du cavalier législatif. Elle offrirait, d’autre part, la possibilité d’améliorer la qualité et la fluidité du travail parlementaire en permettant aux députés de rectifier en connaissance de cause la rédaction de leurs amendements irrecevables.
Le débat est ouvert.