Pour l’heure, les mesures d’urgence ont davantage contribué à soutenir l’économie. Un second plan, plus orienté sur l’investissement, est envisagé.
Si près, si loin. Il y a un an, la France se réveillait, groggy, d’un premier confinement qui avait fait chuter l’activité de près de 30 %. Une nouvelle étape s’ouvrait : celle du « plan de relance », qui serait présenté officiellement à la fin de l’été. Un an plus tard, alors que l’heure est à l’euphorie de la reprise et qu’Emmanuel Macron tente d’asseoir son nouvel agenda de réformes, que reste-t-il de ce projet à 100 milliards d’euros, qui devait servir à « bâtir un pays différent d’ici à dix ans », selon les mots du chef de l’Etat, le 14 juillet 2020 ?
Objet économique hybride, censé à la fois doper l’économie à court terme et préparer la France de 2030, « France relance » a été bâti selon trois axes, chacun doté d’une trentaine de milliards d’euros : la transition écologique (rénovation des bâtiments, infrastructures…), la compétitivité (baisse de 20 milliards d’euros sur deux ans des impôts de production, soutien à l’industrie), l’emploi et la cohésion sociale (plan jeunes, Ségur de la santé…).
D’un montant quatre fois supérieur à celui de Nicolas Sarkozy au sortir de la crise financière de 2008 (26 milliards), il a toutefois été percuté par les rechutes sanitaires et les reconfinements. Résultat : les ministres de Bercy ont beau rivaliser d’indicateurs économiques et de déplacements sur le terrain pour vanter le nombre de projets labellisés, d’usines agrandies ou de collectivités aidées, « aujourd’hui, la seule chose qui imprime, c’est la sortie de pandémie », constate Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut Ipsos.
Mesures hétéroclites
« Il y a une confusion naturelle entre les mesures d’urgence et de relance : ce qui intéresse les gens, c’est de savoir si l’économie résiste, s’ils ne vont pas perdre leur boîte ou leur emploi », explique Mathieu Plane, de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Selon ses calculs, pour 2020-2021, les dépenses réelles (urgence et relance) représentent environ 160 milliards d’euros, « soit 7,5 points de PIB [produit intérieur brut], un niveau dans la moyenne européenne ».
Mais le « quoi qu’il en coûte », incarné par la prolongation des mesures de soutien massives aux secteurs et aux salariés sinistrés (fonds de solidarité, chômage partiel, prêts garantis par l’Etat…), a davantage marqué les esprits que le plan de relance.
D’autant que ce dernier agrège des mesures hétéroclites. « On a du mal à identifier son objet, souligne M. Plane. Le plan hydrogène n’a pas grand-chose à voir avec la prime à l’embauche ou la baisse des impôts de production… On est sur un entre-deux : si on vise 2030, le plan en fait trop peu. Si c’est une réponse à la crise, les mesures d’urgence étaient mieux calibrées. »
« Si on avait voulu dépenser 100 milliards d’euros en trois mois, on aurait pris 100 milliards de mesures fiscales !, rétorque une source gouvernementale. On a fait un choix d’investissement, avec une approche qualitative, en sélectionnant les projets. »
Cela n’empêche pas Bercy d’avoir réalloué des fonds initialement dévolus à des mesures sous-utilisées, telle la prime à la conversion, victime de la déprime du marché de l’automobile, vers les dispositifs plus plébiscités : numérisation des PME, fonds friches, relocalisation industrielle. Car le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, ne s’en est jamais caché : dès l’été 2020, la priorité a été donnée aux dossiers déjà ficelés, quitte à se voir reprocher de financer des projets qui auraient de toute façon vu le jour. Un pragmatisme payant : France relance, prévu sur deux ans, devrait être aux trois quarts mis en œuvre en fin d’année, avec 70 milliards d’euros d’engagements prévus. Fin mai, le décompte en était à 36 milliards engagés pour 26 milliards effectivement décaissés.
N’en déplaise à ceux qui critiquent la complexité d’accès pour les PME, et l’absence de contreparties en matière d’emploi ou d’écologie. « C’est un plan d’aides directes aux entreprises, mais sans investissement sur les services publics de santé – le Ségur est insuffisant –, l’éducation ou la pauvreté : seul 1 % du plan y est consacré [majoration de l’allocation de rentrée scolaire 2020, aides d’urgence] », déplore Emilie Cariou, députée (ex-La République en marche) de la Meuse.
Objectif initial passé sous silence
Surtout, les chiffres ne font pas tout. « Pour juger de la réussite du plan de relance, il n’y aura qu’un seul critère : l’emploi », tranche Brice Teinturier. Pourtant, plus question pour l’exécutif de brandir des objectifs précis sur le sujet, trop aléatoire pour être jeté dans le débat à dix mois du scrutin présidentiel. Bercy préfère passer sous silence son objectif initial, annoncé à l’automne 2020, de créer 160 000 emplois en 2021 et 240 000 en 2022, ou de doper l’économie d’un point de PIB en dix ans. Il faut dire que l’embellie conjoncturelle du moment, et la résistance meilleure que prévu de l’emploi, éclipsent les sujets qui fâchent. Jusqu’à quand ?
« Au moment de la campagne, on ne verra pas grand-chose du plan de relance, estime M. Plane. C’est plutôt la poursuite des mesures d’urgence qui a fait qu’on évite les faillites et que le pouvoir d’achat ne s’est pas écroulé. » Même flou sur l’effet des mesures de relocalisation industrielle, pilier de la stratégie de souveraineté économique du gouvernement. « Nos estimations d’emplois s’entendent à deux ou trois ans », glisse Bercy.
Afin d’évaluer ses retombées économiques, un comité présidé par l’ex-membre de la Banque centrale européenne et ancien du Trésor, Benoît Cœuré, s’est constitué autour de parlementaires, de représentants des organismes paritaires et des différents ministères concernés. Il doit remettre de premiers travaux à Matignon en octobre. « Mais il n’y aura rien de définitif avant la fin 2022, voire au-delà », précise M. Cœuré. Soit bien après l’échéance présidentielle.
Pas un problème, selon Philippe Martin, patron du Conseil d’analyse économique, un think tank adossé à Matignon. « Plus que la gestion sanitaire, la gestion économique de la crise a été largement appréciée. Le gouvernement pourra dire : on a protégé l’économie avec les mesures d’urgence, et on l’a transformée avec le plan de relance. »
Pour certains, cet effet de « saupoudrage » risque de nuire à son efficacité. « Ce plan était nécessaire, mais on ne sait pas quelle croissance supplémentaire il nous donnera », note Eric Woerth. Le président (Les Républicains) de la commission des finances de l’Assemblée nationale remarque que le programme de stabilité, envoyé par la France à Bruxelles en avril, ne prévoit que 1,4 % de croissance à la fin de la décennie, « soit à peu près le niveau d’avant-crise. Où est l’effet plan de relance ? »
Ambiguïté sémantique
« C’est un plan pour se donner bonne conscience. On va financer les projets plus rapidement mais pas créer davantage de croissance, fustigeait, au printemps 2020, Valérie Rabault, présidente du groupe PS de l’Assemblée nationale. Il aurait fallu choisir quatre ou cinq grands thèmes structurants et faire de l’Etat une force d’entraînement. »
A-t-elle été entendue ? Dès la fin avril, Emmanuel Macron évoquait un « second temps de la relance ». A Bercy, on s’est d’abord étranglé de cette entorse à la fin du « quoi qu’il en coûte ». Mi-juin, Bruno Le Maire jugeait toutefois « utile de réfléchir » à des « investissements complémentaires », afin « d’augmenter le potentiel de croissance de la France » et de l’Europe, « face à la montée en puissance de la Chine et à l’accélération américaine ». Et de citer la filière « hydrogène », les « batteries électriques », « le cloud », « l’espace », et « l’investissement dans les compétences » et la « formation ».
Relance ou investissement, l’ambiguïté sémantique est assumée. « Quand on dit relance, les gens ont le sentiment que l’économie va mal. Ce n’est plus le cas », souligne-t-on au sein de l’exécutif. « On ne peut pas dire aux gens qu’on aura 5 % voire 6 % de croissance cette année et leur parler de relance », abonde l’entourage de M. Le Maire. « Nous n’avons pas encore arbitré entre un second plan de relance et plusieurs plans ad hoc sur des filières, comme l’automobile par exemple », indique l’Elysée.
D’autant que la question du financement reste posée. « S’il doit y avoir un deuxième plan de relance ou d’investissement, il sera français, selon Philippe Martin. Je ne vois pas les Européens remettre au pot, les Danois et les Allemands ne voudront jamais. » « La question, c’est remet-on de l’argent au niveau national ou européen ? », admet Bercy.
En tout état de cause, un nouveau plan constituerait un argument de campagne idéal. « Montrer qu’on se préoccupe de projets d’avenir, les gens apprécient. Cela peut permettre de projeter une image du gouvernement qui n’est plus seulement le pompier des difficultés quotidiennes », juge M. Teinturier. Une bouffée d’oxygène bienvenue pour Emmanuel Macron, plus que jamais soucieux de tourner la page de la pandémie.